Max Mode, Hors-série N°1 – printemps-été 99

La fulgurance de River Phoenix

par Gérard Lefort



Le 31 octobre 1993, vers une heure du matin, sur le trottoir d'une boîte à la mode de Los Angeles, un jeune homme de 23 ans est en train de mourir d'overdose sous les yeux de sa sœur et de son frère. C'est la nuit d'Halloween, cette nuit où les enfants vont de porte en porte grimés en gentils monstres pour des adultes qui font semblant d'avoir peur. Mais cette nuit-là, un enfant d'Amérique est mort pour de bon, comme dans un conte de fées qui tourne à l'avantage des sorcières. Un cauchemar éveillé où tous les noms sont trop beaux pour être vrais. La boîte s'appelle The Viper Room, le jeune homme River Phoenix. Son vrai nom, aussi sûrement que son frère se prénomme Leaf (feuille) et sa sœur Rain (pluie). Des enfants nés dans une famille de hippies où on ne rigole pas avec les symboles. Il s'appelait River en hommage à la rivière de vie dans la nouvelle Siddhartha de Hermann Hesse.
Et River a filé, en effet, à la vitesse d'un courant violent. Enfant, il suit en Amérique du Sud ses parents en mission évangélique pour la secte des Enfants de Dieu. River et sa sœur Rain font la manche en chantant à la sortie des palaces de Caracas. Deux autres enfants naissent, Liberty Butterfly et Summer Joy. En 1977, revenue de ses égarements bondieusards, la famille Phoenix rentre aux Etats-Unis. Roulotte, marginalité et riz complet. Maman Phoenix pousse River vers les studios de télé. Son physique de boy-scout de rêve fait un malheur dans les pubs, puis il devient en quelques mois une des vedettes du feuilleton Seven Brides for Seven Brothers.
River a onze ans. Hollywood l'a repéré, il est promu ado-star dans Stand by me de Rob Reiner, The Mosquito Coast de Peter Weir (1986) et Indiana Jones et la dernière croisade (1989) de Spielberg. Mais c'est en 1991 qu'il va, une fois pour toutes, fulgurer. Dans My Own Private Idaho de Gus Van Sant, il est Mike, un prostitué narcoleptique, amoureux impossible du beau Scott (Keanu Reeves), ce qui nous vaudra, coulant de sa bouche comme un miel empoisonné, une des plus belles déclarations d'amour incompris de l'histoire du cinéma. Pour ce rôle, River Phoenix remporte le prix d'interprétation masculine à Venise. Il a 21 ans et il est déjà capable de tout : brave type et méchant garçon. Un acteur, donc un schizophrène, qui avouait dans une de ses dernières interviews qu'il passait son temps à remixer les épisodes de sa courte vie. Ce qui est sûrement vrai, à moins que ça ne soit un mensonge de plus sur la pile d'assiettes en équilibre.
Après My Own Private Idaho, River tournera encore quatre autres films. Mais on s'en fout un peu. River nous sied à jamais en My Own Private Phoenix, jeune frère idéal, buté et irrécupérable. Il était végétarien et se bourrait de barres Mars. Il militait contre les mauvais traitements aux animaux et chantait des trucs ultra-violents dans Aleka's Attic, son groupe de rock perso. Chat sauvage et rebelle fragile. Un archange brûlé. Un homme nommé garçon. Et puis basta ! Une rivière ne s'arrête jamais de couler. Un Phoenix renaît toujours de ses cendres.


Le texte de cette page est © 1999 Max Mode (France).


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